Mineurs et vaccinés: suites juridico-politiques

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J’ai commenté dans un post précédent la décision du Tribunal Cantonal de Fribourg concernant la possibilité, pour un mineur, de se déterminer librement quant à la décision de se faire vacciner, même si sa décision va à l’encontre de l’avis de ses parents. Cet arrêt faisait entre autres référence à la prise de position de l’Office Fédéral de la Santé Publique (OFSP) qui allait dans le même sens, en mettant également en avant la nécessité de la capacité de discernement du mineur, ainsi que celle d’un accompagnement professionnel.

Le 30 août dernier, la revue Plaidoyer [1] a publié un article titré « Mineurs et vaccination COVID-19 : qui décide et à quelles conditions ? » signé par trois avocates. Dans leur introduction, les auteures proposent de répondre à deux questions : « L’OFSP n’a-t-il pas agi dans la précipitation en tentant de faire croire que cet acte médical entrait dans les droits strictement personnels du mineur qui ne nécessitent pas l’accord de son représentant légal ? Ce tribunal a-t-il été exhaustif dans son analyse de la situation, en particulier celle du droit international applicable ? ».

Après une première lecture de ce long article, j’ai constaté avec étonnement que pour les auteures, l’OFSP « a fait preuve de précipitation » et que le Tribunal Cantonal « n’a pas été exhaustif dans son analyse ». Que l’on exprime un avis divergent sur une question aussi délicate, c’est évidemment très bien, mais, peut-être à cause de la longueur du texte, je n’étais pas sûr à ce moment d’avoir bien compris la construction de la démonstration, et j’ai été surpris de n’avoir trouvé que de très rares références à la Convention relative aux Droits de l’Enfant. J’ai donc remis l’ouvrage sur le métier pour une lecture plus approfondie qui me fait relever les points suivants.

Au second paragraphe de l’introduction, l’article se réfère à une lettre d’information de l’OFSP du 5 mai 2021 qui, selon les auteures déclarerait que « les enfants capables de discernement pourraient décider seuls de se faire vacciner, soit sans l’accord des détenteurs de l’autorité parentale, et cela dès l’âge de 10 ans ». La formulation me paraissant un peu lapidaire de la part d’un office fédéral, je suis allé voir le courrier en question, qui dit ceci : « On peut considérer qu’un enfant ou un jeune est capable de discernement s’agissant de la vaccination s’il est en mesure d’en évaluer les conséquences sur son organisme. La capacité à évaluer les conséquences d’une atteinte à l’intégrité physique dépend généralement de la portée d’une telle intervention et de son intensité. En règle générale, on suppose qu’un consentement valable n’est pas possible avant l’âge de 10 ans. Entre 10 et 15 ans, on admet une capacité de discernement progressive et, à partir de 15 ans, on peut présumer qu’une personne est capable de discernement. Il faut néanmoins vérifier si rien ne s’oppose à cette présomption. On peut en déduire que les titulaires de l’autorité parentale doivent uniquement donner leur consentement à la vaccination si l’enfant ou l’adolescent est incapable de discernement. S’agissant de la vaccination contre le COVID-19, on peut, de manière générale, supposer qu’un jeune de 16 ans est capable d’en évaluer les conséquences. Le consentement des parents ou des titulaires de l’autorité parentale n’est donc pas requis pour vacciner les jeunes de 16 à 18 ans. Même si le jeune souhaitant se faire vacciner a moins de 16 ans, il peut donner son consentement à la vaccination sans l’accord de ses parents, à condition qu’elle soit jugée être capable de discernement ». Il n’est donc dit nulle part qu’un enfant de 10 ans pourrait décider seul de se faire vacciner.

Dans le premier chapitre consacré à l’autorité parentale, il est noté que « les titulaires de l’autorité parentale conservent le droit de décider à sa place [de l’enfant] pour la plupart des décisions », ce qui n’est pas correct, ni dans la forme, ni dans le fonds. L’autorité parentale n’est pas, en elle-même, une attribution qui permettait la plupart du temps de décider à la place de l’enfant. Au contraire, « la capacité de discernement lui confère une autonomie certaine qui surpasse la question de l’autorité parentale. Un principe qui s’applique également dans le domaine de la santé. La Suisse reconnaît donc le droit de l’enfant capable de discernement de consentir à un traitement (…). Il s’agit donc, pour ces enfants qui disposent du discernement, d’une sorte de « pré-majorité médicale »[2].

Le second chapitre analyse la question des droits strictement personnels et de la capacité de discernement : en résumé, selon les auteures, la capacité de discernement étant essentielle pour consentir à un acte médical, seul « un médecin ayant des compétences spécifiques en pédopsychiatrie ou un médecin connaissant particulièrement bien l’enfant » serait en mesure de l’évaluer correctement. La démonstration fait cependant l’impasse sur la question des droits de l’enfant et de leur portée en la matière. Sur la question de la capacité de discernement, en lien avec l’article 12 CDE consacré au respect de l’opinion de l’enfant dans les décisions qui le concernent, Jean Zermatten souligne par exemple : « La définition classique du discernement exige deux éléments : la faculté intellectuelle d’apprécier raisonnablement la portée d’une action et la faculté de se déterminer librement par rapport à cette action. On ne peut soutenir que le droit de l’enfant d’exprimer son opinion serait complètement dépendant de cette double condition. En effet, le fait de détenir complètement la faculté intellectuelle de comprendre la portée de l’action « exprimer son opinion » et de se déterminer librement d’après cette compréhension serait en contradiction avec l’absence de limite d’âge et aboutirait à exclure une grande partie des moins de 18 ans de ce droit. Dès lors, la traduction de la version anglaise : « …the child who is capable of forming his or her views…» par discernement, ne doit pas être comprise comme une définition stricte du terme « discernement», mais plutôt comme la recherche par le décideur de la capacité de l’enfant de se former sa propre opinion sur la cause à juger, ce qui est très différent [3] ».

Cette analyse rejoint par ailleurs celle du Tribunal Fédéral qui, dans sa jurisprudence (ATF 114 Ia 350), a estimé qu’« il est généralement admis qu’un patient mineur ou interdit peut consentir seul à un traitement médical qui lui est proposé lorsqu’il est capable de discernement. Cette capacité de consentir personnellement doit être appréciée par le médecin au regard de la nature des problèmes que pose son intervention. L’information du médecin doit être particulièrement prudente, simple et claire. Si la capacité de discernement d’un interdit doit être présumée chaque fois que l’interdiction n’est pas fondée sur l’art. 369 CC, les détenteurs de l’autorité parentale devraient être appelés à intervenir chaque fois qu’il y a un doute sur la capacité d’une personne mineure d’apprécier objectivement les tenants et les aboutissants de l’intervention proposée, l’intérêt thérapeutique du patient étant prépondérant dans tous les cas. ». Selon la Haute Cour, le doute justifiant la prise de précautions supplémentaires est relatif à la capacité de discernement du mineurs (en fonction de son jeune âge par exemple). Ce n’est pas la nature de l’acte médical en lui-même qui conditionne la possibilité pour l’enfant de se déterminer.

En matière médicale, l’accompagnement est donc essentiel (ce qui a bien été souligné par l’OFSP et le Tribunal Cantonal fribourgeois). Selon la contribution du CSCDH précitée « en matière de traitement médical, les professionnel-le-s utilisent très souvent une méthode en 4 phases pour évaluer et apprécier la capacité de discernement. C’est ce que montre notamment un exemple repris du CHUV à Lausanne :

la capacité de compréhension: le jeune patient doit avoir reçu l’information sur la nature du problème, sur le diagnostic et sur le traitement proposé (risques/bénéfices) dans un langage compréhensible. Cette information doit être fournie sans pression, en laissant à l’enfant patient un espace pour poser des questions et en lui offrant un délai de réflexion.

la capacité d’évaluer la situation, c’est-à-dire de comprendre le problème et le traitement proposé, voire les alternatives, en relation avec l’âge certes, mais surtout le degré de maturité ; cela se fait en général par une discussion approfondie entre le médecin / les professionnels et le jeune patient pour s’assurer que toutes les conséquences des différentes options ont été évoquées et évaluées.

la capacité de raisonnement: l’enfant-patient explique son choix, montrant qu’il a pesé les différents éléments pour arriver à une décision, sans subir les pressions de son milieu, ou du médecin/des professionnel-le-s.

la capacité d’exprimer son choix et de s’y tenir tout en résistant aux pressions extérieures. Ce qui requiert une communication sans équivoque de la décision».

On peut ainsi raisonnablement admettre que le corps médical est au fait de ses responsabilités en matière de recueil du consentement d’une personne mineure.

Les auteures poursuivent ensuite avec un long développement basé sur la Loi Fédérale relative à la recherche sur l’être humain (LRH). Elles en déduisent un argumentaire qui confirmerait la nécessité de protéger les mineurs par l’obligation du consentement du représentant légal à l’acte vaccinal. Si l’analyse des mesures exigées par la LRH lorsqu’il s’agit d’un traitement expérimental sur un mineurs n’est pas dénuée d’intérêt, leur application par analogie paraît cependant fallacieuse, l’administration des vaccins à la population suisse ne constituant pas un acte de recherche sur l’être humain. La Cour fribourgeoise l’a également souligné : « la mise sur le marché [du vaccin] signifie que l’on ne se trouve plus au stade de la recherche sur l’être humain ».

Je ne vais pas poursuivre une analyse plus détaillée de cet article, puisqu’il apparaît que les arguments des auteures glissent progressivement vers une dénonciation de la vaccination, et s’éloignent de la question juridique du libre choix du mineur à se faire vacciner ou non. Dans ce débat si complexe, chacun est naturellement libre de faire ses choix et d’argumenter sa décision. Les questions que soulèvent la vaccination sont d’une importance fondamentale, quelle que soit la position de chacun. Ce qui me pose problème ici, c’est la partialité du débat : en ne retenant que les arguments qui soutiennent leur cause, mais surtout en excluant ceux qui ne les servent pas, les auteures proposent une lecture biaisée de la problématique et dénaturent le sens véritable des droits de l’enfant.

Ainsi, en tant que juriste, toute recherche sur les thèmes liées aux droits fondamentaux de l’individu demande de passer en revue la jurisprudence du Tribunal Fédéral (on l’a abordée) et celle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Or, cette dernière a rendu un arrêt fondamental en avril 2021, dans lequel elle déclarait que : « l’intérêt supérieur des enfants doit primer dans toutes les décisions qui les concernent. Il s’ensuit qu’il existe pour les États une obligation de placer l’intérêt supérieur de l’enfant, et également des enfants en tant que groupe, au centre de toutes les décisions touchant à leur santé et à leur développement. Concernant la vaccination, l’objectif doit être de veiller à ce que tout enfant soit protégé contre les maladies graves. Dans la grande majorité des cas, cet objectif est atteint par l’administration aux enfants, dès leur plus jeune âge, de tous les vaccins prévus dans le programme vaccinal. Ceux qui ne peuvent pas recevoir ce traitement sont protégés indirectement contre les maladies contagieuses tant que, au sein de leur communauté, la couverture vaccinale est maintenue au niveau requis ; autrement dit, leur protection réside dans l’immunité de groupe. Ainsi, lorsqu’il apparaît qu’une politique de vaccination volontaire est insuffisante pour l’obtention et la préservation de l’immunité de groupe, les autorités nationales peuvent raisonnablement mettre en place une politique de vaccination obligatoire afin d’atteindre un niveau approprié de protection contre les maladies graves ».[4] N’a-t-il pas là un développement juridique important à traiter dans ce débat ?

Ce n’est pas l’objet de ce modeste blog que de prendre position en faveur ou contre la vaccination : il s’agit d’un droit individuel qui doit impérativement être respecté, y compris pour les mineurs, sous condition d’information et d’accompagnement. Le débat public est également un élément central des droits humains, mais il demande une honnêteté intellectuelle qui permette à chacun de se forger une opinion. S’il s’agit de défendre une cause ou une autre, il faut alors être transparent sur le sens de la démarche. Les auteures de cet article étant toutes les trois membres de l’association « Le virus des libertés », elles défendent une certaine vision de la société que chacun est libre de suivre, ou non. Mais en publiant ce type d’article qui n’offre au final qu’une lecture politique de la problématique, elles vident les droits de l’enfant de leur sens et de leur substance.

Et là, chacun a aussi le droit de ne pas être d’accord.

[1] L’article n’est malheureusement pas en libre accès.
[2] « La position de l’enfant face au traitement médical : Consentement, refus, droit d’être entendu, intérêt supérieur », Centre Suisse de Compétence pour les Droits Humains.
[3] J. Zermatten, « Le droit de l’enfant d’être entendu », revue plaidoyer 2/11,
[4] Les vaccinations en question ne concernent ci que les maladies pour lesquelles les vaccins sont usuellement recommandés, et n’incluent pas le Covid-19. CEDH, affaire Vavřička et autres c. République tchèque.

Photo : Kaja Reichardt