Confrontés aux adoptions irrégulières, les Etats se mobilisent

Loading

La question du traitement des adoptions internationales entachées d’irrégularités prend de l’ampleur, conduisant pays d’accueil et pays d’origine à devoir se positionner et envisager des mesures propres à répondre aux besoins des adoptés. Cet article propose un point de la situation, sur la base des informations diffusées ces derniers mois.

En Belgique, le 9 juin dernier, le Parlement fédéral a adopté une résolution visant à reconnaître la survenance d’adoptions illégales en Belgique, à conférer aux personnes concernées le statut de victimes et à entamer une enquête administrative sur le sujet. Ses résultats sont attendus pour l’été 2023. Auparavant, le 17 mai, la Commission des relations extérieures du Parlement fédéral a reconnu, à l’unanimité, que des cas de fraudes ont eu lieu en Belgique. La Commission a présenté ses excuses pour les souffrances engendrées auprès des enfants adoptés et de leurs familles.

La région Flamande est par ailleurs intervenue plus tôt sur la question, puisqu’un rapport d’experts a été rendu en septembre 2021 avec des conclusions très claires sur les mauvaises pratiques historiques en matière d’adoption internationale. Les autorités flamandes ont adopté fin 2021 un paquet de règles visant à mieux encadrer les procédures, en particulier concernant la traçabilité des informations, les transferts d’argent et la probité des pays d’origine.

En France, l’association RAÏF (Pour la Reconnaissance des Adoptions Illégales à l’International en France) a lancé une pétition en ligne intitulée « Demande d’enquête sur les adoptions illégales à l’international en France depuis 1960 » qui a récolté plus de 40’000 signatures à ce jour. A la fin de l’année dernière, le Secrétaire d’État en charge de l’enfance et des familles auprès du Ministre des Solidarités et de la Santé, a annoncé la prochaine tenue d’une commission d’enquête sur les adoptions illicites “sur le modèle de celle qui avait été consacrée aux enfants réunionnais de la Creuse. Elle sera menée avec le soutien du Ministère des Affaires étrangères et celui de la Justice et devrait débuter “au premier trimestre 2022”.

Le 8 juin 2022, une députée NUPES a déposé une proposition de « résolution visant à mettre en place une mission d’enquête ministérielle sur les adoptions illégales d’enfants au Sri Lanka ayant eu lieu entre 1973 et 1997 » à la suite d’une demande de parents adoptifs ayant découvert les irrégularités dont leur adoption avait été l’objet.

Les Pays-Bas ont mis en place un comité d’enquête indépendant le 18 avril 2019, dont les investigations se sont toutefois limitées au Brésil, Bangladesh, Colombie, Indonésie et Sri Lanka. Ses conclusions ont été rendues le 8 février 2021. Les Pays-Bas ont à la suite de cette publication prononcé une suspension temporaire des procédures d’adoptions internationales. Celles-ci ont été réouvertes en avril de cette année, mais sous des conditions plus strictes : un seul opérateur public vient remplacer les 4 organismes agréés privés, les projets de coopération en lien avec l’adoption ne sont plus autorisés et la surveillance des procédures est renforcée.

En Suède, le Gouvernement a annoncé le 27 octobre 2021 avoir lancé une enquête pour examiner et analyser la manière dont les cadres réglementaires, les dispositifs organisationnels et les processus décisionnels ont opéré en matière d’adoption internationale, par le passé et jusqu’à ce jour. Il s’agit de faire la lumière sur les pratiques passées, mais également d’évaluer les besoins de soutien actuels des adoptés. L’enquête suédoise portera sur la Chine, le Chili, la Colombie, la Corée et le Sri Lanka, et inclura des missions sur le terrain (sauf pour la Chine) pour recueillir des informations sur le programme d’adoption de chaque pays. Le rapport est attendu pour le 7 novembre 2023.

En Suisse, on se souvient que fin 2020, le Conseil Fédéral a exprimé ses regrets face aux abus constatés dans la pratique de l’adoption internationale avec le Sri Lanka. Les groupes d’experts (dont j’ai l’honneur de faire partie) mis en place à la suite de cette première étape travaillent sur les améliorations et les changements nécessaires aux processus de recherche d’origine; ils rendront leurs travaux en fin d’année. Ceux-ci ont toutefois constaté la nécessité de donner une réponse aux besoins immédiats en matière d’accompagnement à la recherche des origines. Cela a conduit le Conseil Fédéral et les Cantons à signer un accord avec l’association Back to the Roots lui octroyant un soutien financier de CHF 250’000.- pendant trois ans pour la mise en place d’un projet pilote.

Le Gouvernement chilien a décidé le 10 janvier 2022 de lancer une enquête concernant les adoptions réalisées sous l’ère de la dictature (1973 -1990), tant au niveau national qu’international. Cette démarche, ainsi que l’enquête suédoise précitée, s’inscrit dans le contexte des recherches menées au Chili concernant l’époque de la dictature Pinochet. Une étude intitulée « Niños y niñas chilenos adoptados por familias suecas. Proximidad diplomática en tiempos de Guerra Fría (1973-1990) » publiée en 2021 a ainsi conclu que « les adoptions d’enfants chiliens par des familles suédoises faisaient partie d’une campagne de la dictature militaire pour promouvoir l’adoption en tant que moyen de contre-propagande visant à mettre fin à la « campagne anti-chilienne » en Suède, ainsi que pour rétablir les liens internationaux ».

En Corée du Sud, ce sont les adoptés eux-mêmes qui ont réalisé une étude sur les pratiques liées à l’adoption internationale. Le fait qu’ils aient bénéficié d’une subvention de la Commission Nationale des Droits de l’Homme constitue un acte positif en vue d’une reconnaissance de ce travail par les autorités coréennes. Le rapport a été rendu fin 2021 et une version en anglaise devrait bientôt être disponible.

A noter enfin qu’en Allemagne, ce n’est pas (encore) l’histoire de l’adoption internationale qui préoccupe les autorités, mais plutôt celle de l’adoption nationale. La question des adoptions forcées pour motifs politiques en RDA va faire l’objet d’une étude visant à en déterminer l’ampleur et à permettre aux familles de trouver des réponses.

Du 4 au 8 juillet 2022 se tiendra la prochaine Commission spéciale de la Convention de la Haye relative à l’adoption internationale, réunissant l’ensemble des signataires de la Convention. Nul doute que les questions d’adoptions irrégulières et de recherche d’origine feront l’objet de débats intéressants.

Photo : Christine Roy unsplash.com