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Le 4 novembre dernier, la Commission des affaires juridiques du Conseil des États s’est prononcée en faveur d’une motion visant à inscrire dans le Code Civil suisse « l’éducation sans violence ». Le texte de la députée du Centre Christine Bulliard-Marbach soulignait qu’ « un article définissant un droit à une éducation sans violence serait un signal fort et permettrait à long terme de changer la société ».

Naturellement, une mesure visant à mieux protéger les enfants de toute forme de violence est positive et constitue à n’en pas douter une forme de progrès. Ce qui me chiffonne ici, c’est la formulation employée : « un droit à une éducation sans violence ».

Nous savons que les droits de l’enfants peuvent être de différentes natures : certains engagent une obligation positive de la part de l’Etat – fournir des soins (art. 3 et 24 CDE) ou protéger (art.3 CDE) – d’autres ont une portée dite déclarative – le droit aux loisirs (art.31 CDE) – certains encore peuvent être formulés de manière négative : le droit à ne pas être séparé de ses parents (art.9 CDE), à ne pas être exposé à l’exploitation (art.32 et 34 CDE), etc.

Le « droit à une éducation sans violence » semble toutefois s’adresser en premier lieu aux parents ou aux adultes en charge de l’éducation de l’enfant, dans la mesure où ils peuvent être les auteurs de cette violence. Mais cette formulation implique que l’enfant aurait un droit à ce que ces derniers s’abstiennent de toute forme de violence éducative à son encontre. Quelle sera en réalité la portée de ce doit ? S’il y a violence, et c’est la position du Conseil Fédéral, les dispositions pénales s’appliqueront (une gifle est pénalement punissable par la qualification de voie de fait par exemple, art. 126 CP). Est-ce qu’il s’agit de dénoncer une sorte de « modèle » éducatif qui serait fondé sur la violence ? Appartient-il au juge civil d’apprécier le degré de violence tolérable ou non (gronder, engueuler, menacer, priver de quelque-chose, etc.) ? Les contours de ce droit semblent ainsi assez difficiles à cerner.

La motion fait référence aux recommandations faites à la Suisse par le Comité des Droits de l’Enfant pour justifier la démarche, mais à la lecture de ces dernières, il apparaît que le Comité demande plutôt à la Suisse « d’introduire sans tarder dans la législation une disposition interdisant expressément les châtiments corporels », ce qui est différent.

Mais le plus dérangeant dans cette histoire, c’est que cette motion touche au cœur de la confusion quasi permanente que l’on constate entre les droits de l’enfant et l’éducation. Je suis très souvent confronté à l’expression de doutes quant au bien-fondé des droits de l’enfant « dans certains cas ». L’idée selon laquelle l’enfant a besoin de limites, que l’autorité de l’adulte est nécessaire, mais que ces dernières seraient remises en cause par une vision un peu naïve d’un « enfant-roi » qu’il faut préserver de toute injonction négative, et dont les droits vont toujours plus loin.

Les droits de l’enfant n’ont rien à voir avec une éducation permissive, voire laxiste, dont on sait aujourd’hui combien elle peut être contreproductive. Comprendre et mettre en œuvre ces droits, c’est considérer l’enfant comme une personne à part entière, capable d’exprimer ses besoins et de faire sa place dans la société. L’adulte se doit de l’accompagner vers son autonomie, en lui transmettant des valeurs de respect et de responsabilité. Ce chemin passe essentiellement par l’exemple, ou même par l’exemplarité. Il appartient à l’adulte de ne pas user de violence dans l’éducation, c’est sur lui que repose l’obligation.

La motion aurait donc pu être formulée différemment pour être à la fois plus claire et plus cohérente: « les parents s’abstiennent de toute forme de violence dans l’éducation de leurs enfants ».

Illustration : La Vierge corrigeant l’enfant Jésus devant trois témoins par Max Ernst (1926).