La Suisse et les adoptions irrégulières: une deuxième étape

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« Les motivations des pays occidentaux dans cette démarche procédaient à l’origine d’une volonté généreuse d’aider les enfants abandonnés, en situation de détresse. Mais dans nos pays industrialisés, l’adoption internationale est bien souvent devenue aujourd’hui une réponse au manque d’enfants adoptables et à l’infécondité des couples (…). Dans l’opinion publique se répand une sorte de croyance en un droit à adopter avec, à la clé, la création d’un véritable marché de l’adoption ». Cet extrait est tiré du Rapport « Pour un respect des droits de l’enfant dans l’adoption internationale » publié par la Commission des questions sociales, de la santé et de famille (Conseil de l’Europe) le 2 décembre 1999.

Le 8 décembre 2023, le Conseil Fédéral a présenté les résultats de la seconde étude de la Haute école des sciences appliquées de Zurich intitulée « Eléments indicatifs d’adoptions illégales d’enfants de 10 pays d’origine en Suisse, des années 1970 aux années 1990 ». On peut y lire « Les documents consultés dans les dossiers spécialisés révèlent une dissonance entre le postulat de considération du bien de l’enfant, d’une part, et la pratique d’autre part, cette dernière ayant souvent été guidée par d’autres intérêts que ceux des enfants adoptés. Cela confère aux enfants un statut d’objet. Il n’est pas rare que l’on parle d’eux comme s’ils étaient des marchandises, par exemple en utilisant le terme d’« importation d’enfants » ou, de manière plus subtile, lorsque les parents adoptants formulaient des souhaits quant aux caractéristiques de l’enfant qu’ils voulaient accueillir ».

Que nous disent les 24 ans qui séparent ces deux déclarations ?
Tout d’abord, qu’il faut une génération pour faire changer une « mentalité ». Une génération pour le temps qui passe, mais aussi une génération d’adopté.e.s désormais adulte et apte à porter le débat sur la place publique. 
Il serait faux de dire qu’il ne se serait rien passé pendant toutes ces années : l’entrée en vigueur en Suisse en 2003 de la Convention de La Haye sur l’adoption internationale, la mise en place d’une autorité centrale fédérale, le renforcement du contrôle sur les intermédiaires en adoption, ont fortement augmenté la régulation des adoptions internationales. Ces mesures nationales, auxquelles s’ajoutent celles prises par les Etas d’origine et les instances internationales, ont considérablement modifié le paysage de l’adoption internationale, au point qu’elle ne représente aujourd’hui que 10% de son maximum historique (plus de 40’000 adoptions internationales recensées à travers le monde en 2004). 

Ce temps long est aussi symptomatique de la complexité d’une filiation fictive, fondée sur la loi et non sur le sang, qui convoque des valeurs personnelles et sociales enfouies, des enjeux politiques et géopolitiques cachés, et des responsabilités fragmentées insaisissables. Cette complexité doit conduire à la nuance et au respect de chacun, en particulier en évitant les raccourcis. Dans son reportage d’hier, le journaliste de la RTS déclarait « au total, 8000 enfants ont été adoptés de manière illégitime entre 1970 et la fin des années 90 ». Ce type d’allégation est d’une part infondée : l’étude précise bien que « pour dresser le présent état des lieux, nous n’avons pas consulté de dossiers individuels, mais uniquement des dossiers spécialisés conservés aux archives fédérales ». Parler des défaillances du système ne signifie pas que tous les dossiers soient concernés, et encore moins qu’ils le soient de manière égale. D’autre part, il s’agit de respecter adoptants et adoptés qui ne sont peut-être pas concernés, qui forment aussi des familles et qui n’éprouvent pas tous le besoin de remettre leur histoire en question.

Enfin, si la décision de Conseil Fédéral de réviser le droit international de l’adoption doit être saluée, le rapport précédent « Recherche d’origine pour les personnes adoptées » publié le 15 novembre dernier, mettait en évidence les lacunes du système actuel quant aux moyens nécessaires à un accompagnement professionnel d’une recherche d’origine. Il est désormais nécessaire d’appréhender la question de l’adoption dans une vision globale qui inclut passé et avenir, national et international, adopté.e.s et familles adoptives.