La fin de l’adoption internationale, pour qui?

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Le 21 mai dernier, le Gouvernement des Pays-Bas a officiellement annoncé qu’il ne permettra plus à ses ressortissants d’entamer de nouvelle procédure d’adoption internationale. Cette décision prend effet immédiatement, tout en prévoyant une période transitoire pour les dossiers en cours. Ce choix radical constitue certainement une rupture dans l’évolution de l’adoption internationale, brisant un tabou social et politique, et peut-être d’autant plus de la part du pays qui héberge le siège de la Conférence de La Haye.

Les Pays-Bas ont suivi un chemin somme toute très logique : en février 2021, le rapport d’experts mandaté par le Gouvernement dressait un tableau sans concession des pratiques passées de l’adoption, soulignant les défaillances du système et leurs graves conséquences sur le développement des abus dans les procédures. Quelques jours plus tard, les autorités décidaient de suspendre les procédures d’adoption internationale. Fin 2022, les Pays-Bas décidaient de reprendre les procédures, mais uniquement avec 6 pays d’origine considérés comme sûrs. Cette mesure n’a toutefois pas mis fin aux débats : certains membres du Parlement considéraient par exemple que « There is too much room for abuse, and it is not a sustainable way of protecting children ». Des ONG ont également pris position, demandant au Gouvernement de mettre un terme définitif à la pratique de l’adoption internationale afin de prévenir toute violation de l’article 21 de la CDE. La décision de stopper l’adoption internationale vient donc conclure un assez long débat. Quels enseignements peut-on en tirer ?

Tout d’abord, il faut saluer le fait qu’un pays d’accueil ait réussi à mettre la question de la pratique de l’adoption internationale sur la place publique, puis à se positionner clairement sur le sens qu’il entendait lui donner. Les Pays-Bas ne sont naturellement pas les seuls à être confrontés au retour de flamme de la pratique adoptive : France, Belgique, Suède, Norvège et Suisse ont également entrepris des réflexions dans ce sens. Mais d’autres pays d’accueil historiques restent encore complètement silencieux, alors qu’ils sont certainement tout aussi concernés. L’approche hollandaise s’inscrit ainsi dans un mouvement plus large de « libération de la parole » très salutaire et exemplaire sur la forme.

Sur le fonds, la question de savoir si la pratique de l’adoption internationale est par essence positive ou, au contraire, négative mérite d’être aujourd’hui débattue. 

Cette mesure a toujours eu ses promoteurs (sauver les enfants) et ses détracteurs (marchandisation des procédures, exploitation du Sud par le Nord), la nature même de l’adoption (supprimer puis créer une filiation) pouvant légitimement interpeler chaque citoyen. Il n’est malheureusement pas possible de déterminer objectivement de quel côté penche la balance : le nombre d’enfants ayant vécu de manière positive leur adoption est-il supérieur ou inférieur à ceux qui en ont souffert ? Comment évaluer l’impact globale de cette mesure sur des familles biologiques inatteignables ? Quels ont été, hier et aujourd’hui, les apports des adoptés dans l’évolution des sociétés qui les ont accueillis ?

En l’absence de réponse à l’échelle individuelle, essayons de réfléchir en termes de choix de société, donc de politique, comme l’illustre le processus suivi en Suisse. 

Une fois n’est pas coutume, la Suisse n’a pas tardé dans ce dossier, ayant rapidement lancé des études sur le sujet, exprimé ses regrets face aux constats d’abus passés, et entamé des travaux en vue de réformer son cadre légal. En mars 2023, le Groupe d’expert mandaté a remis un rapport intermédiaire au Conseil Fédéral qui proposait deux voies possibles: soit on considérait que les risques étaient inhérents à une procédure internationale de ce type, (comme le soutient le professeur Smolin), et qu’il convenait donc de stopper les procédures définitivement, soit on mettait en place un système de coopération très strict entre les Etats, permettant un meilleur contrôle à chaque étape de la procédure. Le Conseil Fédéral a choisi la seconde option. Si ce type d’analyse est propre à un Etat d’accueil, et est d’ailleurs partagée par d’autres (la Flandres par exemple), elle ne dit toutefois rien du sens de l’adoption internationale aujourd’hui. 

Il faut à mon sens repartir des fondamentaux : l’adoption internationale est une mesure de protection de l’enfant reconnue par l’article 21 de la Convention relative aux droits de l’enfant, dont la formulation est très claire quant à la titularité des responsabilités : « Les États parties qui admettent et/ou autorisent l’adoption s’assurent que l’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale en la matière, (…) veillent à ce que l’adoption d’un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes (…) reconnaissent que l’adoption à l’étranger peut être envisagée comme un autre moyen d’assurer les soins nécessaires à l’enfant (…), prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que, en cas d’adoption à l’étranger, le placement de l’enfant ne se traduise pas par un profit matériel indu (…)». Manifestement, il appartient donc aux Etats de résidence de l’enfant de décider s’ils admettent ou non l’adoption internationale. En ne permettant plus à ses ressortissants d’engager une procédure d’adoption internationale, les Pays-Bas prennent certes une mesure susceptible d’empêcher de nouvelles procédures potentiellement abusives, mais ils n’interviennent pas dans le strict champ d’application de la CDE, puisque la protection des enfants contre ces abus relève de la compétence des Etats d’origine.  

La décision hollandaise éclaire finalement un enjeu essentiel qui n’a jamais (ou si peu) été traité jusqu’ici : si l’adoption internationale est une mesure de protection de l’enfant, il appartient aux Etats responsables des enfants de décider si elle doit faire partie ou non de leur système de protection de l’enfance, sous quelles conditions, et dans le respect de l’article 21 CDE. Les récentes études ont largement démontré que l’emprise des pays d’accueil sur l’évolution de l’adoption internationale est en grande partie à l’origine des dérives auxquelles il s’agit désormais de répondre. Tant que certains pays d’accueil continueront à adopter à l’étranger sans rien changer à leurs pratiques, les mesures du type de celle prise au Pays-Bas ne changeront rien quant à l’amélioration de la protection des enfants susceptibles d’être adoptés. 

Il serait donc temps que l’adoption internationale opère sa révolution, en retournant un système de pouvoirs hérité du passé, en identifiant les situations où cette mesure peut répondre à des besoins avérés et en soutenant sincèrement le respect des droits de l’enfant.

Photo : unsplash.com