Ecole inclusive ou droit à l’inclusion ?

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Depuis quelques semaines, l’école inclusive suscite (à nouveau) le débat : fortement remise en question par la droite, différents médias se sont penchés sur les enjeux liés à sa mise en œuvre. Outre les préoccupations selon lesquelles, faute de moyen, l’inclusion à tout prix serait autant préjudiciable aux enfants « inclus » qu’aux élèves « ordinaires », les enseignant.e.s ont également fait part de leurs difficultés à gérer toutes les missions qui leur sont confiées.

C’est un sujet éminemment complexe dont je ne suis pas spécialiste, mais ayant eu récemment l’occasion de réfléchir à un « droit de l’enfant à l’hétérogénéité » dans le cadre d’une intervention en formation continue, le rappel de quelques principes fondamentaux ne me paraît pas inutile.

Il s’agit tout d’abord de répéter inlassablement que la Convention relative aux Droits de l’Enfant (CDE) fait partie intégrante de l’ordre juridique suisse, et que plusieurs de ses dispositions sont directement applicables. L’article 2 interdit toute forme de discrimination fondée sur « l’incapacité » de l’enfant ; l’article 28 reconnaît le droit à l’éducation pour chaque enfant, l’article 23 précise que l’aide étatique octroyée soit « conçue de telle sorte les enfants handicapés aient effectivement accès à l’éducation ». A noter que l’article 62 de la Constitution fédérale prévoit que « les cantons pourvoient à une formation spéciale suffisante pour les enfants et adolescents handicapés, au plus tard jusqu’à leur 20e anniversaire », et que la Convention relative aux droits des personnes handicapées, en vigueur en Suisse depuis 2014, requiert que « les personnes handicapées puissent, sur la base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire » (art. 24). L’école inclusive n’est donc pas une option : c’est une obligation légale.

Se pose ensuite la question de la portée du droit à l’éducation pour chaque enfant, selon les objectifs visés par l’article 29 de la CDE. Dans son Observation Générale n°1 consacrée à ce thème, le Comité des Droits de l’Enfant rappelle que l’éducation n’est pas seulement une affaire de connaissances, mais qu’elle doit être ancrée dans des valeurs. Il souligne que « la mise en œuvre effective du §1 de l’article 29 nécessite un profond remaniement des programmes scolaires pour tenir compte des divers buts de l’éducation, et une révision systématique des manuels scolaires et des matériaux et techniques d’enseignement, ainsi que les politiques en matière scolaire. La méthode qui consiste uniquement à superposer au système existant les buts et les valeurs énoncés dans l’article sans tenter d’apporter des changements plus profonds est clairement inappropriée. Les valeurs pertinentes ne peuvent être intégrées efficacement dans les programmes d’enseignement et être ainsi adaptées à ces programmes que si les personnes qui doivent les transmettre, les promouvoir et les enseigner et, dans la mesure du possible, les illustrer, sont elles‑mêmes convaincues de leur importance ».

Les mêmes préoccupations systémiques ont d’ailleurs été émises par l’étude « L’enfant et ses droits participatifs dans le contexte scolaire » (Louviot, Moody, Darbellay 2020) qui s’est intéressée au droit non moins important de la participation, et qui constate qu’«une refonte en profondeur du système, sur un plan aussi bien structurel qu’idéologique, en lien avec la compréhension de l’enfance et de l’enfant dans la société et dans le système scolaire plus particulièrement, semble être un prérequis fondamental à l’intégration de processus participatifs institutionnalisés et pérennes, permettant une réelle exploration et expression de l’agency des enfants».

Bien qu’elle soit l’institution qui a le plus  affaire aux enfants, l’école est paradoxalement celle qui semble avoir le plus de difficultés à assimiler les droits de l’enfant dans leur ensemble. Malgré des progrès et des efforts indéniables, elle reste guidée par des fondamentaux dont il n’est pas aisé de se défaire (enseignement homogène, évaluation, résultats, classification, réussite, etc.). Son fonctionnement me fait penser à ces programmes informatiques « profonds » que peu de personnes maîtrisent encore, mais qui définissent malgré tout les bases de n’importe quel système récent.

Les réformes scolaires ont toujours été des serpents de mer, rendus encore plus insaisissables par le fédéralisme, les aléas budgétaires et les évolutions sociales, mais pour citer Philippe Mérieux : « l’hétérogénéité des classes n’est pas d’abord affaire de pédagogue, c’est d’abord une affaire de citoyen ». En d’autres termes, l’école inclusive et les droits de l’enfant dépendent avant tout des choix de la société. Fondée sur le dogme historique de « la même école pour tous les enfants », l’institution cherche encore un chemin vers « l’école pour tous les enfants ».

Photo: unsplash.com / Museums Victoria