Abus dans l’Eglise : la chute de Pierre et l’envol des paroles

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La CECAR (Commission d’Écoute, de Conciliation, d’Arbitrage et de Réparation) a publié la semaine passée son rapport d’activité 2023. L’organisation constate une nette augmentation des demandes de victimes depuis la publication du « Rapport concernant le projet pilote sur l’histoire des abus sexuels dans le contexte de l’Église catholique romaine en Suisse depuis le milieu du 20ème siècle » en septembre 2023 : vingt nouvelles requêtes ont été reçues entre la publication du rapport et la fin de l’année. A ce chiffre devraient s’ajouter celles déposées devant les Commissions diocésaines (gérées directement par les évêchés), mais à ma connaissance, ces chiffres ne sont malheureusement pas publiés.

On le sait : l’intérêt social et médiatique porté à ce sujet difficile joue aujourd’hui un rôle essentiel dans la libération de la parole des victimes, en leur donnant le courage de témoigner et de réclamer reconnaissance et réparation. Le recueil de leurs témoignages démontre à chaque fois combien le silence est porteur d’un traumatisme aussi grave que l’abus subi. Le silence imposé par l’emprise de l’abuseur, par la honte qui salit les proches, et par la peur de la vindicte des bigots porteurs d’œillères.

La semaine passée est venu s’ajouter le silence imposé par la célébrité. Les révélations concernant les multiples comportements abusifs de l’Abbé Pierre ont fait tomber une icône, « personnalité préférée des français » pendant des années. La communication officielle a été réalisée par la Communauté d’Emmaüs, avec un courage et une transparence qui pourrait inspirer bien des structures religieuses. Quelques jours plus tard, d’autres voix se sont manifestées pour dire « qu’on savait » ; on savait que la carrière d’Henri Grouès avait été marquée par plusieurs épisodes pour le moins douteux, et que les rares initiatives ayant essayé d’y mettre fin ont été insuffisantes face au statut du personnage. La  Commission indépendante sur les abus dans l’Église a également confirmé avoir identifié trois situations mettant l’abbé en cause. Depuis la fin de l’omerta, d’autres témoignages apparaissent et confirment la « compulsion sexuelle du clerc catholique».

Ce nouvel épisode, qui voit se télescoper un #MeToo des célébrités avec les révélations sans fin des abus commis au sein de l’Eglise catholique, démontre une fois de plus que les abus peuvent survenir partout, et de la part de n’importe qui. L’Eglise catholique a exprimé, comme chaque fois serait on tenté de dire, sa « douleur et sa honte », alors que, comme chaque fois, elle savait… Il serait peut-être temps pour elle d’apprendre de ses échecs et de se confronter franchement aux problèmes qui la rongent de l’intérieur.

photo: Kristina Flour unsplash.com