En quêtes d’origine(s)

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Depuis quelque temps, les questions liées à l’identité familiale et aux « origines biologiques » occupent une place de plus en plus visible dans le domaine public : politique, média, cinéma, littérature, les interventions sont multiples. Mais que nous raconte ce soudain intérêt ? Comme souvent sur ce blog, le point de départ se fonde sur différentes sources «éparpillées façon puzzle», mais dont la mise en commun, peut-être incongrue, espère aboutir à une image cohérente.

Début janvier, l’émission de la RTS «Tribu» invitait Marie Lemeland pour son livre «Le syndrome du bâtard», paru en octobre 2021. L’auteure y raconte son histoire : celle d’une petite fille qui grandit dans une famille on ne peut plus normale, jusqu’au jour où, vers l’âge de 30 ans, sa mère lui apprend que son père n’est pas son « vrai père », que son père biologique est un autre homme. Cette révélation va, progressivement, puis très brutalement, affecter la jeune femme : dans son état de santé, dans ses relations à sa famille, dans son estime de soi, pour finalement l’amener à se questionner sur le sens de cette filiation secrète, et sur l’impact qu’ont eu ces non-dits tout au long de sa vie, même bien avant qu’elle n’en découvre le secret. Déclarée bâtarde, Marie Lemeland décide de créer le site «Bande de Bâtards», afin de collecter la parole d’autres personnes, qui ont aussi découvert qu’elles avaient deux pères. Face à l’ampleur du phénomène (qui concernerait 1% de la population selon une étude scientifique référencée dans le livre), l’auteure se lance dans la rédaction de ce livre qui décortique les sources sociales, historiques, religieuses et légales de la « bâtardise ». Elle constate la nécessité d’une libération de la parole, tant le secret, révélé ou non, est destructeur et dangereux.

Sorti dans les salles suisses également en début d’année, le documentaire «Une histoire à soi», réalisé par Amandine Gay, donne la parole à cinq adoptés désormais adultes. Pour reprendre ce qu’en disait Véronique Cauhapé dans Le Monde du 23 juin 2021 « Tous les cinq ont été adoptés et sont nés loin de la France où ils ont grandi. Justine, Mathieu, Anne-Charlotte, Nicolas, Céline ont en commun cette histoire d’abandon et de déracinement. Tous témoignent en voix off et n’apparaissent qu’à travers les archives, photos et films de famille. Tandis que nous les voyons ainsi grandir, leur récit, à eux, fait le chemin inverse, raconte comment il leur a fallu revenir à leurs origines pour pouvoir continuer. Ce mouvement contraire qui s’effectue entre récit et images formalise l’idée maîtresse du film, à savoir que se reconstruit sous nos yeux un puzzle auquel il manque une pièce. L’intelligence du procédé, et la façon dont il est mis en œuvre, distingue ce documentaire de tous les autres réalisés sur ce sujet. Sa vertu étant essentiellement de rendre tangible le vide à partir duquel, après l’abandon et le déracinement, doit s’édifier une vie, se fabriquer une identité ».

Dans un registre bien différent, j’ai reçu le livre « La Race des orphelins » d’Oscar Lalo, qui raconte l’histoire d’Hildegarde, née du projet « Lebensborn » de l’Allemagne du IIIème Reich. Sensés incarner et perpétuer la race aryenne, ces enfants d’un empire millénaire fantasmé n’étaient finalement enfants de personne, et se sont retrouvés projetés dans la vie à partir d’un grand néant comme identité. Le scribe engagé par Hildegarde pour recueillir son histoire accompagne cette âme d’enfant dans une exploration identitaire qui se perd dans les recoins les plus sombres de l’histoire. Au-delà du contexte dramatique, il est bouleversant de constater les résonnances de ce récit avec les thèmes plus contemporains liés aux origines.

Et l’on revient aux enfants et à la guerre en Ukraine : dans le journal 24 Heures du 14 mai dernier, Anna Lietti a publié un petit papier intitulé « A la mère porteuse ». La journaliste rappelle que depuis quelques années « l’Ukraine s’est imposée comme la fournisseuse numéro un en mères porteuses pour les couples suisses, français ou anglais cherchant à contourner la loi de leur pays et obtenir un enfant à tout prix (40’000 à 60’000 euros). L’invasion russe est venue perturber ce commerce en plein essor. Plusieurs dizaines d’enfants sont nés sans avoir pu être livrés, plusieurs centaines de gestatrices s’apprêtent à accoucher dans l’incertitude. Les « bébés de la GPA » sont suspendus entre ici et là-bas ». Le recours aux mères porteuses au niveau international n’a toujours pas fait l’objet d’une quelconque régulation entre Etats, et il va sans dire que ce juteux business ne s’embarrasse pas de questions d’origines et de droits de l’enfant.

Le 16 mai dernier, la Conseillère Fédérale Karin Keller-Sutter et le Président de la Conférence des directeurs cantonaux de justice et police Fredy Fässler, ont officiellement signé une convention avec l’organisation Back to the Roots. L’accord prévoit un financement annuel de 250’000 francs sur trois ans qui permettra à l’organisation de répondre aux demandes de recherches d’origine qui lui sont adressées par les adoptés du Sri Lanka. A voir si ce projet pilote permettra ensuite un accompagnement similaire pour les enfants adoptés dans d’autres pays d’origine.

Quelle image se dessine avec ce puzzle à cinq pièces ? L’évidence de l’importance fondamentale et fondatrice de la connaissance de l’identité et de l’histoire personnelle de chacun, les aveuglements sociaux et politiques qui sacrifient l’enfant sur les autels de la bien-pensance, des dogmes ou de l’économie, les reconnaissances tardives (et partielles) des dommages du passé, l’absence de courage face aux dommages aujourd’hui en cours.

Oscar Lallo dit de son personnage qu’elle doit « savoir d’où elle vient pour cesser d’aller nulle part » ; un bel aphorisme valable autant pour l’individu que pour la société.

Photo : Wilhelm Gunkel unsplash.com