L’enfance maltraitée continue de demander des comptes

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Au cours des trois dernières semaines, plusieurs informations ont relayé différentes situations où des adultes, victimes durant leur enfance d’anciennes pratiques désormais condamnées, ont revendiqué la reconnaissance de leurs droits et, pour certains d’entre eux, une réparation pour les torts subis.

Le 16 novembre, en Irlande, le Gouvernement a présenté son plan pour répondre aux victimes de placements forcés ayant conduit à d’innombrables abus et à des adoptions illégales. Le cas de ce pays est particulièrement tragique : l’enquête rendue publique au début de cette année « a mis en évidence 9000 décès, soit 15% des 57 000 enfants qui sont passés par ces établissements entre 1922 et 1998 ». Après avoir présenté ses excuses, le Gouvernement s’engage désormais dans un processus de réparation financière. Contrairement à la Suisse qui avait choisi de verser une contribution unique et symbolique dans le dossier similaire dits des placements forcés, l’Irlande a dressé une échelle de tarifs basée sur la durée du séjour en institution ainsi que sur l’obligation de travailler. Les personnes concernées ont d’ores et déjà fait part de leur mécontentement face à ce choix, ce qui paraissait inévitable. L’expérience montre en effet que ce n’est pas tant le montant de la réparation qui est déterminant, mais le symbole de reconnaissance. En choisissant une forme de gradation dans la violence subie, le Gouvernement irlandais risque fort de manquer (en partie) son rendez-vous avec l’Histoire.

Dans le domaine de l’adoption internationale, l’association Brazilian Baby Affairs a obtenu une grande victoire devant la juridiction néerlandaise : l’action individuelle du fondateur de l’association, Patrick Noordoven, pour faire reconnaître son droit à l’identité personnelle, a été admise en justice le 24 novembre 2021. La cour a constaté que le pays d’accueil n’avait pas rempli ses obligations pour préserver ce droit, alors qu’il savait que l’adoption en question était entachée d’illicéités. Cela fait près de 20 ans que Patrick Nordoven se bat sans relâche pour faire reconnaître ses droits en tant qu’adulte adopté au Brésil dans les années 1980, par une procédure entachée de graves irrégularités. Son combat s’inscrit également dans la prise de position plus large des Pays-Bas qui ont reconnu les erreurs du passé en matière d’adoption internationale, dans un rapport publié au début de cette année.

Toujours en novembre, mais en Suisse, ce sont les « Schankkinder » qui se manifestent. Ces « enfants du placard » ont vu leur enfance volée, enfermée, réduite au silence : en tant qu’enfants de travailleurs immigrés, leurs parents, par leur statut de saisonnier, n’avaient pas le droit de venir en Suisse avec leurs enfants. Certains l’ont fait malgré tout, rarement par choix d’ailleurs, mais ont dû cacher leur enfant pendant tout leur séjour en Suisse, privant ces derniers de toute forme de liberté, d’éducation, de vie sociale etc. Le livre « L’enfant lézard » qui raconte cette histoire a été chroniqué ici. Ces enfants aujourd’hui adultes (on estime leur nombre entre 10 et 15’000) demandent à leur tour une reconnaissance de leur histoire par les autorités suisses, sans toutefois revendiquer de compensation financière.

Ces trois « cas » démontrent une fois encore la nécessité du travail de mémoire et d’introspection concernant la manière dont les Etats se sont « occupés de l’enfance » par le passé. Nul doute que bien d’autres histoires dramatiques continueront de ressurgir, mais ce qui est peut-être le plus important, c’est le potentiel de réflexions que ces drames doivent inspirer. Si bien des progrès sont en marche, le chemin reste toutefois encore bien long pour que les droits de l’enfant soient respectés en tout temps, et en tous lieux.

Photo : Stefano Pollio, Unsplash