Adoptions irrégulières : le Comité sur les disparitions forcées prend position

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Le 11 mai 2021, le Comité des Nations Unies sur les disparitions forcées a rendu ses observations suite à l’examen du rapport périodique soumis par la Suisse. La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées a été ratifiée par la Suisse en 2016, et est entrée en vigueur le 1er janvier 2017.

Le Comité s’est saisi du dossier des adoptions irrégulières entre la Suisse et le Sri Lanka grâce à l’association Back to the Roots qui, selon ma compréhension des informations postées sur son site, a été invitée à prendre position lors de cette session. Il est réjouissant de constater que les représentants des adoptés aient accès aux plus hautes instances des Nations Unies, et que leur voix puisse être entendue sur des thématiques trop longtemps ignorées. Toutefois, le fait d’avoir sollicité le Comité en charge des disparitions forcées soulève à nouveau bien des questions, et, à mon sens, risque de poser plus de problèmes qu’il ne va peut-être en résoudre.

Selon l’article 2 de la Convention, on entend par disparition forcée l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’auto­risation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnais­sance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi” [1]. Cette définition permet d’imaginer les cas auxquels la Convention fait référence : un gouvernement ou ses représentants enlèvent et font disparaître des personnes, dans un contexte de crise politique, de guerre ou de dictature par exemple. Il s’agit donc d’un instrument de droits humains visant à protéger les citoyens contre ce type spécifique de persécutions.

Dans ses observations, le Comité fait le raisonnement suivant pour motiver son intervention dans le domaine des adoptions internationales irrégulières : il souligne que la délégation [suisse] a reconnu que, dans certains cas, les adoptions illégales pouvaient être le résultat d’une disparition forcée ou d’une soustraction d’enfants soumis à une disparition forcée ou dont le père, la mère ou le représentant légal étaient soumis à une disparition forcée, ou d’enfants nés pendant la captivité de leur mère soumise à une disparition forcée. Rappelons que dans le contexte sri-lankais, la guerre civile qui s’est étendue de 1983 à 2009, a impliqué un nombre important de disparitions forcées (20’000 personnes selon les estimations les plus hautes). Il est donc effectivement possible que parmi les victimes, certaines aient eu des enfants qui, d’une manière ou d’une autre, aient finalement été adoptés.

Toutefois, et sans vouloir manquer de respect au Comité, cette prise de position est à mon avis inquiétante, pour ne pas dire contre-productive, et ce à plus d’un titre. Tout d’abord, j’ai le sentiment que le cas des adoptions internationales remplit difficilement les conditions posées par le cadre légal conventionnel. S’il y a certes une possibilité que des enfants aient indirectement été victimes de disparitions, est-il plausible d’imaginer qu’un Etat ait délibérément procédé au type d’actes décrits ci-dessus dans le but de faire adopter des enfants à l’international ? En d’autres termes, y a-t-il un lien de causalité entre la disparition de l’adulte et l’adoption de l’enfant? On peut en douter. Que le contexte politique de l’époque, la guerre civile, et la crise économique aient offert à des individus des opportunités d’enrichissements à travers l’organisation de procédures d’adoptions internationales abusives et illégales, sans aucun doute. De là à envisager la mise en place d’une véritable procédure organisée par l’Etat à cette fin, cela semble peu probable. Certes, ce type d’actions a effectivement été mis en œuvre en Espagne et en Argentine, avec pour conséquence l’enlèvement des enfants d’opposants au régime et leur adoption subséquente, mais ces situations sont-elles vraiment comparables ?

Le Comité demande ensuite à la Suisse de « mener des enquêtes approfondies et impartiales » et de « garantir le droit à réparation ». Sans aller plus loin dans l’analyse, je pense qu’ici aussi le Comité se trompe de combat : comment conduire ces enquêtes dans un pays étranger, concernant une période de guerre civile ? Faudra-t-il ensuite les mener dans tous les autres pays d’origine qui ont traversé des crises et qui simultanément réalisaient des adoptions internationales ? Ensuite, de quelle réparation parle-t-on ? Sur quelle base, et en fonction de quels critères ?

Enfin, la lecture de l’article 35 de la Convention laisse pour le moins dubitatif, puisqu’il précise que « le comité n’est compétent qu’à l’égard des disparitions forcées ayant débuté postérieurement à l’entrée en vigueur de la présente Convention » (donc 2016 pour le Sri Lanka et 2017 pour la Suisse). Dès lors, sur quoi se fonde tout ce débat ?

A titre personnel, je considère cette intervention comme peu appropriée, car elle ne fait qu’ajouter de la confusion dans un dossier déjà complexe. Le Comité était certes tout à fait légitimé à soulever certaines questions, mais ses recommandations ne vont pas dans le sens d’une réponse globale à la question des adoptions illégales, et encore moins à une approche humaniste des problèmes à traiter. Elles risquent au contraire de figer des positions, de rendre méfiants les pays d’accueil qui devront s’atteler à donner des réponses aux adoptés en recherche de leurs origines, et de jeter un voile de violence extrême sur l’ensemble de la communauté de l’adoption internationale. C’est à mon avis bien regrettable.

[1] Texte légal disponible ici
Voir également ici