Une histoire du placement d’enfants en Suisse

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Joëlle Droux et Anne-Françoise Praz nous offrent en ce début d’année une publication passionnante qui retrace l’histoire du placement d’enfants en Suisse depuis le XIXème siècle. Cette synthèse rassemble d’une part les résultats de recherches menées sur ce thème depuis plusieurs années, et se nourrit d’autre part des témoignages d’anciens enfants placés, recueillis dans le cadre du processus de reconnaissance et de réparation porté par la Confédération.

L’ histoire de ce que l’on appelle aujourd’hui la protection de l’enfant, s’inscrit naturellement dans les évolutions sociales de notre pays. Elle reflète à ce titre les valeurs et les normes qui, à chaque époque, ont façonné la manière dont l’Etat entendait répondre aux besoins de l’enfance délaissée. Les auteures nous invitent ainsi à un voyage dans le temps, rythmé par les marqueurs philosophiques, économiques, législatifs et culturels qui ont déterminé les moyens qu’il s’agissait de mettre en œuvre pour, selon l’époque, protéger la société des éléments perturbateurs les plus jeunes, puis pour protéger l’enfant de milieux familiaux jugés néfastes, ensuite pour aider la famille à mieux s’occuper de ses enfants, et enfin pour aider l’enfant vivant hors de son foyer familial à préparer au mieux sa vie d’adulte.

Tout au long de l’ouvrage, il est frappant de constater comment un système d’abord porté par des philanthropes soucieux de « solutionner le problème de l’enfance malheureuse », s’est progressivement structuré en fonction des contraintes et des avancées de chaque époque. Il se dégage ainsi une vision « méta » de la protection de l’enfance, qui vient obligatoirement éclairer et questionner les pratiques actuelles. Ainsi, lorsqu’une « ex-assistante sociale du Service genevois des tutelles déplore le peu de temps consacré au suivi, chaque assistante étant responsable de 200 dossiers à la fin des années 1950 », on pense bien-sûr à la surcharge toujours actuelle des services cantonaux de protection. Et lorsque dans leurs conclusions les auteures soulignent que « le tableau de la protection de l’enfance est trop longtemps resté ponctué d’isolats et de localismes imperméables les uns aux autres, résistant à tout effort de coordination et de rationalisation qui aurait pu ouvrir les esprits et les cœurs à d’autres façons de dire, de voir et de faire la protection des mineurs en danger ou dangereux », on ne peut que constater que, malgré d’importants progrès, la perspectives d’une réelle politique nationale de la protection de l’enfance reste encore un vœux pieu dans notre pays.

On attribue à Machiavel l’aphorisme selon lequel pour prévoir l’avenir, il faut connaître le passé. Dans le domaine si délicat de la protection de l’enfance, il s’agit là à mon avis d’un principe essentiel, ce d’autant plus que nos sociétés contemporaines et leurs instances politiques sont désormais comptables des pratiques du passé. Le placement en est un exemple, l’adoption internationale en est un autre, et nul doute que d’autres sujets continueront à être questionnés.

Cerise sur le gâteau : les éditions Livreo-Alphil proposent l’ouvrage en accès gratuit en format pdf sur leur site, une aubaine qu’il faut également saluer.

Joëlle Droux, Anne-Françoise Praz « Placés, déplacés, protégés ? L’histoire du placement d’enfants en Suisse, XIXe-XXe siècles » , éditions Livreo-Alphil. Disponible ici

Photo : capture écran couverture du livre