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Dans le cadre de mes recherches liées à la place de l’enfant dans la société, j’avais vu passé sur les réseaux sociaux, il y a déjà longtemps, un reportage italien consacré aux enfants de travailleurs saisonniers en Suisse dans les années 60 – 70. Cette publication rappelait qu’à l’époque, la Suisse acceptait certes d’accueillir la main d’œuvre étrangère, mais lui refusait le droit de s’installer, et encore moins de venir en Suisse avec femme et enfant(s). Des familles ont toutefois bravé cet interdit, en faisant d’abord entrer leur enfant de manière clandestine sur le territoire, puis en le maintenant caché, sans contact avec l’extérieur, afin d’éviter une dénonciation ou un contrôle de la police des étrangers qui conduirait à une expulsion. Cette politique s’inscrit dans le contexte social de l’époque, illustré par l’initiative Schwartzenbach qui voulait limiter le nombre de travailleurs étrangers en Suisse. Si le projet sera finalement refusé, il marquera néanmoins durablement la politique migratoire fédérale.

Pour revenir au sort de ces « enfants du placard », on trouve quelques marques d’intérêt pour ce thème, par exemple lors d’une exposition menée par le syndicat UNIA en 2014. Il fait actuellement l’objet d’une étude à l’université de Neuchâtel et la RTS lui a consacré une émission de Temps Présent en novembre 2019. Mais c’est la récente publication du livre de Vincenzo Todisco, intitulé « L’enfant lézard » (éditions ZOE) qui donne à chacun l’occasion de plonger dans l’univers effrayant de l’un de ces enfants.

Suite au décès de la grand-mère auprès de qui il vivait, l’enfant est amené en Suisse, ses deux parents travaillant dans le but de pouvoir, un jour, construire leur maison en Italie. Laissé le plus souvent seul dans l’appartement, l’enfant, dont on ne connait pas le nom, écoute les bruits dans l’immeuble, compte les pas nécessaires à la traversée de chaque pièce, et se cache dans le placard si quelqu’un visite ses parents. Sa capacité à se faufiler en toute discrétion lui vaut le surnom de lézard. Au fil des années, il s’enhardit, sort de l’appartement, se glisse chez les voisins en leur absence, explore les moindres recoins de son immeuble. Il finit par faire quelques rencontres, heureusement bienveillantes, qui atténuent un tant soit peu « l’ensauvagement » qui se développe en lui. Piégés dans leur rêve inaccessible, ses parents font le constat désespéré de ce qu’ils imposent à leur fils, en souffrent et sombrent eux aussi peu à peu.

Dans un style simple et pudique, l’auteur place le lecteur dans un rôle d’observateur, presque de spectateur, mal à l’aise à l’idée que certains de ces gamins ont pu vivre dans l’immeuble d’en face. On ne peut ensuite s’empêcher de réfléchir à notre société actuelle, dans laquelle les enfants migrants qui viennent de plus loin, restent souvent, eux aussi, sans papiers ni droit d’exister.