Sauver les orphelins de la guerre

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Le déferlement de violences inouï qui s’abat sur l’Ukraine depuis deux mois sidère par sa soudaineté, son ampleur et son absurdité. Face à un tel cataclysme, s’intéresser aux droits de l’enfant peut paraître bien dérisoire, mais ce conflit a une telle proximité dans ses répercussions que certaines questions liées à l’enfance concernent aussi les sociétés occidentales.

Début avril, plusieurs articles de presse relataient l’accueil d’un groupe de 23 orphelins ukrainiens à Kandersteg. Quelques jours plus tard, on apprenait que 25 orphelins seraient également accueillis dans le canton de Vaud. Que nous disent ces communiqués ? Le mot orphelin est mentionné dans tous les titres consultés, sans grande considération quant à la situation réelle de chaque enfant concerné ou au respect de sa vie privée. Accueillir des « orphelins de guerre », c’est convoquer toute une mythologie historique, et peu importe les raisons pour lesquelles ces enfants étaient placés en foyer. UNICEF rappelle à ce sujet que la grande majorité des enfants accueillis dans des structures résidentielles ont au moins un parent vivant.

Selon les statistiques compilées par le Service Social International photographiée, puis largement diffusée. On y voit également le conseiller national Hans-Peter Portmann (PLR/ZH) qui ne ménage pas ses efforts pour porter une petite fille qui sort du bus, puis servir les repas et distribuer des peluches aux enfants. Il a partagé les photos de lui avec ses « protégés » (c’est le mot qu’il emploie) sur son compte facebook, librement accessibles.

Dans le Canton de Vaud, le communiqué du 4 avril précise : « A la demande de tous les intervenants, aucune visite à destination des médias ne sera organisée dans l’immédiat ».

Les enfants accueillis à Kandersteg étaient hébergés en Ukraine par la fondation Ridni, dont « la mission est de faciliter l’adoption et de combattre le problème de la condition d’orphelin en Ukraine ». Sur son site, la fondation présente les photos de 24 enfants sous le titre « aidez-les à trouver une famille ». Rappelons que la possibilité de consulter des « catalogues d’enfants adoptables » est considérée comme contraire aux bonnes pratiques, non seulement parce qu’elle constitue une élément incitatif allant à l’encontre des principes devant gouverner une procédure d’adoption, mais également parce qu’elle enfreint le droit de l’enfant au respect de sa vie privée.

Selon les statistiques compilées par le Service Social International1, l’Ukraine était le 2ème pays d’origine en termes de nombre d’enfants adoptés à l’international en 2020, 4ème en 2019, 6ème en 2018. Elle n’a pas ratifié la Convention de La Haye relative à l’adoption internationale.

Le 22 avril dernier, la chaîne d’information CNN a publié un article en ligne titré « Des Américains se sont précipités pour secourir des orphelins ukrainiens. Une mission a mené à une enquête sur le trafic d’enfants », qui relate « une litanie d’histoires sur des Américains souvent bien intentionnés cherchant à sauver des orphelins ukrainiens ». Comme à chaque fois, qu’il s’agisse d’une catastrophe naturelle ou d’un conflit, des « sauveurs » s’engagent dans toutes sortes d’opérations, sans avoir la moindre idée de la portée de leurs actes, ni même de la situation des enfants qu’ils veulent emmener et parfois adopter. Le 13 mars 2022, le Gouvernement Ukrainien a décidé d’imposer un moratoire sur les procédures d’adoptions internationales.

Nos réactions et nos émotions face à la détresse des enfants caractérisent notre humanité, et il ne saurait être question de mettre en cause la sincérité d’une structure d’accueil ukrainienne, d’un homme politique zurichois ou de candidats à l’adoption américains. Mais nos actes dépassent nos bonnes intentions quand ils oublient de considérer l’enfant pour ce qu’il est, et non pour ce qu’on voudrait qu’il soit. Le message est finalement toujours le même : l’enfant n’est pas l’objet de notre empathie, il est le sujet de ses droits et ceux-ci doivent d’autant plus être respectés et protégés lorsque les situations extrêmes les mettent en péril.

1 Bulletin Mensuel SSI/CIR n° 257

Photo : Egor Lyfar unsplash.com